Champignon de Paris, psalliote rosée
(Agaricus
bisporus),
Règne : Thallophytes
Les champignons n'appartiennent pas botaniquement au
règne végétal. Ils sont classés dans le règne fongique, et sont proches des
cryptogrammes (du grec kruptos, caché et gamos, noces) du règne
végétal, c'est-à-dire les plantes sans fleur. Ils sont formés d’un appareil
végétatif appelé thalle, du grec thallos, jeune pousse. Un champignon
est un organisme cellulaire et est dépourvu de chlorophylle. La partie visible
de la plante est un appareil reproducteur qui dissémine les spores : le
carpophore. Le champignon se reproduit grâce à des spores qui en germant
donnent de longs filaments blancs, le mycélium. Ce mycélium sert à ensemencer
un mélange de paille, eau et fumier. Placé dans l'obscurité totale, le mycélium
va ensuite donner naissance à de nouveaux champignons qui pourront se
développer. Certains mycéliums circulaires (les fameux "ronds de
sorcières") s'agrandissent d'année en année et peuvent atteindre une
dimension de quinze hectares. Ces champignons auraient entre mille cinq cents
et dix mille ans d'existence ! Les champignons font partie de l'héritage
le plus ancien de la nourriture des hommes. Il existe mille huit cent quarante
et une espèces comestibles connues à ce jour.
Nos ancêtres préhistoriques consommaient des
champignons sauvages. Voici plusieurs millénaires, les Chinois cultivaient déjà
le Shiitake, qu'on trouve maintenant sur nos marchés. Grecs et Romains
savaient obtenir les Pholiotes (croissant par touffes à la base des
arbres) en recouvrant de fumier et de cendre des souches de figuier. Cette même
technique sera reprise à la Renaissance par les Toscans. Les champignons
étaient alors préparés en condiments et on leur prêtait des vertus
aphrodisiaques. Un siècle plus tard, Dioscoride(1),
médecin botaniste, rédigea une pharmacopée de six cents plantes. Ses textes
manquent de rigueur scientifique, mais ils seront une référence dans le domaine
de la pharmacopée pendant des siècles. On y trouve des données sur la
production des pholiotes.
On ne trouve pas de traces de champignons dans les
textes médiévaux, cependant le champignon est resté un met ancestral transmis
dans les foyers de génération en génération. D’ailleurs, il est l’acteur d’une
histoire sociale de lutte des classes, puisqu’il profita aux démunis et aux
errants avant d’arriver sur la table des populations riches et urbaines :
les champignons pouvant être abondants et gratuits pour ceux qui savent les "dénicher"
à la campagne et onéreux pour les citadins. La culture du champignon commença
réellement en Italie à la Renaissance. La psalliote rose ou champignon de Paris
est cultivée depuis le règne de Louis XIV, sous la ville de Paris, dans les
anciennes catacombes et carrières. On leur attribue de nombreux noms populaires
dont "le bifteck du pauvre" ; Néron(2) les appelait
"la chère des Dieux". L’empereur fait certainement le rapprochement
avec la fin de son prédécesseur Claude, mort après avoir mangé des champignons,
sûrement empoisonné. C’est le paradoxe des champignons, ils peuvent être
savoureux et très recherchés, ou tuer en un rien de temps. Les noms ne sont
d’ailleurs d’aucune aide en ce domaine, la trompette-de-la-mort est comestible
alors que l’amanite printanière est vénéneuse… Dans l’alimentation de
l’Antiquité, le champignon pouvait être un appoint non négligeable mais sa
consommation, comportant des risques, pouvait décimer des familles entières,
parfois par volonté criminelle.
« On regardera comme mauvais, dit Pline, les
champignons qui durcissent en cuisant, comme moins malfaisants ceux qu’on fera
cuire avec du nitre, surtout si on les fait bien cuire. On sera plus tranquille
si on les fait cuire avec de la viande ou avec des queues de poires. Il est bon
aussi de manger des poires aussitôt après »… Les Anciens avaient reconnu
l’importance alimentaire des champignons et avaient tenté d’en cultiver en
couche. Porphyre(3)
les appelait "fils de dieux" parce que les champignons poussent de
manière spontanée. Cependant, des siècles plus tard, cette caractéristique et
la propriété vénéneuse de certaines espèces ont entraîné une grande
méfiance : les champignons furent même parfois associés à la sorcellerie.
Dans le Maine, où « aucun paysan ne consentirait à en manger », ces
végétaux surnommés "pis de chien" étaient considérés comme le
"venin de la terre" ou encore comme "son mauvais sang qui sort
en pustules". Dans cette région comme en Ille-et-Vilaine, on ne laissait
pas les vaches avaler les champignons mous parce que l’on croyait qu’ils
avaient été déposés par des sorciers. Dans la Loire-Atlantique, on prétendait
que « là où les sorciers avaient dansé, un champignon poussait sous chacun
de leurs pas ». Dans les Landes également, ces créatures maléfiques
donnaient naissance au "Lou Pousoun", champignon vénéneux. Certains
noms ou surnoms des champignons montrent un certain rapport avec la
sorcellerie : le bolet satan ou boletus satanas (ou cèpe
diabolique), vénéneux, fut longtemps utilisé par les sorciers dans leurs
maléfices. L’amanite tue-mouche se dit en béarnais diablehou, signifiant
un lutin.
"Campaigneus sont de maintes manières,
et il en a qui font les gens soudainement morir"
Alebrant, XIIIème siècle
Dans le Poitou, une croyance voulait également que le
regard humain stoppe la croissance des morilles et des cèpes. Une autre aidait
à trouver des morilles en recommandant de dire beaucoup de mensonges. Dans la
Gironde, si une femme ramassait des cèpes pendant ses jours menstruels, il n’en
repousserait plus à l’endroit où elle les avait cueillis. Dans la région de
Menton, on doit mettre sa veste à l’envers pour trouver des champignons. En
Gascogne, quand on en cueille un, on récite ceci : « Champignon,
petit champignon, fais-moi trouver ton compagnon ». Il existe de nombreux dictons
sur les champignons : "mettre sa chemise à l’envers fera trouver
beaucoup de champignons", "rencontrer sous ses pas un beau champignon
rosé, est toujours signe de chance"…
Selon une autre croyance, tout champignon qui pousse à
proximité d'un métal tel que fer, cuivre, etc., devient vénéneux. Cette
croyance tient sans doute du fait que la substance vénéneuse des champignons était
censée s'attacher à tout corps métallique.
Une autre tradition dit que casser par inadvertance une
amanite rougeâtre provoque de violentes pluies. Dans les Vosges, on utilise la
vesse-de-loup (ou lycoperdon) dans un onguent destiné à stopper une hémorragie.
En Chine, le champignon est symbole de longévité car il
se conserve très longtemps séché. Dans la population thaïe, il représente une
image du ciel primordial en raison de la forme de son chapeau. Pour les Indiens
d'Amérique centrale, les champignons vénéneux sont des symboles phalliques, les
autres sont des symboles de fertilité : ils les répartissent sur les
autels dressés en plein air, ou en entourent la natte où dorment les femmes.
Ces rites visent un double but : accroître la fertilité des champs et
augmenter la fécondité de la tribu. Les champignons nondas de Nouvelle-Guinée sont
connus pour exciter les femmes ; dans d’autres cultures, certains
champignons sont abortifs, d’autres entraînent des pulsions criminelles, d’autres
encore sont hallucinogènes…
C'est La Quintinie, le célèbre jardinier de Louis XIV,
qui fera beaucoup progresser les techniques de culture. Mais, pratiquées en
plein air, elles ne permettent ni les productions d'hiver (à cause du froid),
ni celles d'été (à cause de la chaleur et des parasites). Cependant, la morille
est le champignon préféré de Louis XIV, qui ne manquait pas de goût !
Pourtant la morille est un des champignons les plus pauvres en fibres et en
minéraux.
Il faudra attendre 1810 pour qu'un horticulteur ait
l'idée de cultiver les champignons dans les caves troglodytiques du Val de
Loire afin d'avoir une température et une humidité constantes tout au long de
leur développement.
1. Médecin grec du 1er siècle apr. J.-C., il s’occupa essentiellement
de botanique.
2. Néron (37 – 68),
empereur romain de 54 à 68. Grâce à des manœuvres politiques, il fut proclamé
empereur à la mort de Claude, son beau-père qui l’avait adopté.
3. Philosophe
néo-platonicien d’origine syrienne (234 – 305).
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