Fève des marais ou grosse fève, fève des
champs ou fourragère (Vicia faba),
Famille des Papilionacées (Fabacées)
La fève est une plante potagère annuelle à fleurs
blanches, à gousses vertes puis noires.
Originaire du Proche-Orient, les premières fèves apparurent
dans les terres irriguées de l'ancienne Égypte au côté des pois chiches et des
lentilles. Elles faisaient alors partie de l'alimentation quotidienne ; par
ailleurs certaines recettes de l’Égypte ancienne sont consignées dans des
textes traitant de médecine. La fève était également cuisinée par les
Phéniciens qui la préparaient avec des échalotes. Les Grecs et les Romains remplaçaient
le pain par des bouillies accompagnées principalement de fèves et d'autres
grains : lin, sésame, pavot qui palliaient la faible quantité de céréales.
Une bouillie de fève appelée puls fabata était offerte aux dieux selon
un rituel spécifique. La purée de fève était appelée concha ou concicla,
elle était cuisinée avec du poivre, de la livèche, du cumin, de la coriandre,
de la liqueur de poisson, du vin et de l’huile. C’était la nourriture des
pauvres, des forgerons et des gladiateurs. Certains textes romains(1)
nous apprennent que la consommation des fèves est directement liée au monde de
la terre et du labeur, comme l’était la consommation des pois chiches. Les
fèves étaient vendues entières ou réduites en farine appelée lomentum.
Le Grec Aristophane évoque les difficultés qu’ont les Athéniens à se nourrir en
ville par rapport aux paysans. Il écrit même qu'à Athènes la bouillie de fève
est un luxe. Pour les Égyptiens et les Grecs, elle était considérée comme un
met royal, un don des Dieux, une friandise. Dans la Rome antique, on utilisait
les fèves comme bulletin de vote. Cette pratique est évoquée dans l’expression
"compter des fèves", c’est-à-dire avoir une activité sans importance
qui traîne en longueur, poireauter. Pythagore(2)
et ses disciples s’interdisaient de manger des fèves (et de la viande), car la
fève aurait été le premier être vivant qui naquit de la putréfaction originelle
en même temps que le premier des hommes(3).
La fève est associée intimement aux hommes, sa tige creuse était censée être un
moyen de communication entre le monde des hommes et Hadès(4) ; sa tige était
le lieu de passage entre les vivants et les morts. La fève sur sa tige était
plus ou moins comme une plante humaine, un double de l’homme, et manger une
fève était alors un acte de cannibalisme(5).
Sa forme était à l’origine de la croyance en une réincarnation des ancêtres. Le
mot kuamos, fève en grec, vient du verbe kueô, porter en son
sein ; répandue déjà chez les prêtres égyptiens, cette idée allant d’une
forme de vie embryonnaire à la réincarnation des âmes des ancêtres dans les
fèves, devint si forte dans la Grèce ancienne que les pythagoriciens en
interdisaient la consommation. Plutarque(6)
suggère que l’interdiction par Pythagore de manger des fèves peut être
interprétée comme une demande d’abstention de vote. Or, ses disciples ne
suivirent pas son conseil et cela les perdit. Il est dit que Pythagore
lui-même, poursuivi par ses ennemis, fut tué pour ne pas avoir voulu traverser
un champ de fèves afin de leur échapper. Les magistrats étaient élus au moyen
de fèves noires ou blanches, ces dernières désignant celui qui remplirait la
charge, l’âme des ancêtres en ayant décidé ainsi. Peut-être le "roi"
éphémère élu par la fève de l’épiphanie est-il un souvenir lointain de ces
antiques croyances. En effet, la véritable fève est à l’origine de celle de la
galette des rois. Selon certains auteurs, les Saturnales romaines sont à
l’origine de notre tradition ; elles avaient lieu fin décembre, début
janvier, coïncidant avec le solstice d’hiver. Lors de ces réjouissances, on
tirait un roi avec de vraies fèves. A l’élu, tous devaient obéissance, aussi
bien riches que pauvres ou esclaves. Même si l’église regardait d’un mauvais
œil cette tradition païenne, la veille de l’épiphanie était l’occasion d’élire un
roi dans les cathédrales parmi les chanoines, qui installaient l’élu sur le
maître-autel et à qui on offrait des cadeaux. Rentrés chez eux, les fidèles reprenaient
cette cérémonie en glissant une fève séchée dans un gâteau, fève qui sera
remplacée petit à petit par une petite figurine. La fête des rois fut supprimée
en 1793 puis reprise en 1800. Dans le Berry, la galette est coupée par une
jeune fille célibataire et la cadette de la réunion décide de la répartition
des parts, cachée sous un napperon. Dans d’autres régions, c’est le plus âgé
qui découpe la galette. En Italie et en Russie, deux fèves, une noire pour les
hommes, une blanche pour les femmes, sont cachées dans la galette ; le
couple formé par le tirage est destiné à s’unir en mariage. Dans la même
culture, faillir à la tradition ou refuser l’aumône à l’épiphanie porterait
préjudice aux récoltes des fèves comme à celle des autres légumes et fruits.
Au XIIIème siècle, la fève symbolisait la bonne fortune
et pouvait attirer les faveurs des personnages importants, même du roi. On la
gardait précieusement au fond de sa poche. L’expression "trouver la fève
au gâteau" signifie faire une découverte importante ou une excellente
affaire.
Par ailleurs, de par sa forme d'embryon, la fève
passait autrefois pour germer sous l'influence de la lune croissante,
traditionnellement favorable aux naissances masculines. Une fois pelée
– débarrassée de sa robe –, la graine ressemble à un petit rognon.
Aussi, en vertu d'une analogie magique, l'utilisait-on encore au XVIIIème
siècle pour soigner de multiples affections des testicules et, par extension,
toutes les maladies vénériennes. Si les garçons de la région dijonnaise
voulaient dénoncer la trop grande froideur d’une fille, ils accrochaient à sa
fenêtre un bouquet de fèves, ce qui lui signifiait qu’elle aurait bien besoin
d’en user ! Dans d’autres régions, on dit d’une femme enceinte qu’elle a
mangé de la soupe de fèves(7).
Bien que très appréciées dans beaucoup de régions, les
fèves ont cependant suscité une certaine méfiance qui a longtemps subsisté. Au
Moyen Age, si les fèves étaient consommées dans les couvents pour leurs valeurs
nutritives, leur préparation impliquait tout un cérémonial mêlé de prières
appropriées accompagnant chaque étape. Depuis l’Antiquité, la fève est connue
pour provoquer les songes. Comme de tels rêves risquent d'être érotiques et de
troubler le recueillement, nombre de couvents médiévaux interdisaient cette légumineuse
dans l’alimentation. Pour sauvegarder les âmes, une législation interne à l'Église
retira le "grain du diable" de la ration. D’ailleurs, déjà dans les
temps anciens, les gaz produits par les fèves, amenèrent à en réglementer la
consommation ; les flamines (prêtres romains) prohibaient ces graines de
leur nourriture. Saint Jérôme, par exemple, défend expressément l'usage des
fèves aux moniales, l'interdiction visant surtout les femmes, si on en croit le
proverbe : « Quand les fèves sont en vigueur, les femmes sont
folles » ; on comprendra "en chaleur". Un dicton du
Vaucluse, « les fèves fleurissent », était fondé sur le préjugé que
la fleur de fève rend fou parce qu’elle exhale une odeur forte qui monte à la
tête.
La fève était un aliment très important dans
l’Antiquité mais elle vit sa consommation décliner avec l’arrivée des haricots
en Europe. Les fèves qui fermentaient vite étaient alors interdites à la
consommation, elles tenaient de la "bête morte". Ensuite, au Moyen Age,
la fève reprit du service dans les soupes ou dans la composition de la
traditionnelle "potée". Les légumineuses étaient appelées
"frugues", fruit de la terre. Comme la blette, la fève sera la
nourriture des pauvres, des ouvriers. D'ailleurs, les mots "faba"
(fève) et "faber" (ouvrier) sont à l'origine de certains jeux
de mots. On reconnaît à cette époque la valeur nutritive des légumes
secs : ils contiennent des protéines et remplacent la viande pour le
peuple. D’ailleurs, dans la Rome antique, on faisait manger des fèves aux
gladiateurs avant les jeux.
Les anciens avaient toutes sortes de façons de prédire
la récolte de l'année suivante : Messe de minuit obscure/Récolte de fèves sûres.
La fève possède des qualités nutritives intéressantes,
notamment en raison de sa richesse en glucides, protides, fibres et vitamines,
même lorsqu’elle est consommée sèche. On la consomme aussi fraîche, crue ou
cuite.
1. Notamment ceux de
Thucydide, historien grec (470 – 400 av. J.-C.), qui voyagea en Italie, en
Sicile et dans le Péloponnèse et qui entretint des informateurs dans de
nombreuses villes.
2. Philosophe et
mathématicien grec du VIème siècle av. J.-C.
3. D’après Eloïse Mozzani, Le livre des superstitions, 1995.
4. Dieu grec des
morts ; après la défaite des Titans, il règna aux Enfers.
5. D’après William Wheeler, Connaître, utiliser, savourer les légumes,
p. 127.
6. Dans ses Œuvres
morales. Il fut biographe et moraliste grec (46 – 125).
7. D’après Guy Citerne,
Miracles et religions populaires, Ed. C.E.L., 1986.
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